Est-ce que le merle s’était déjà risqué à tracer son paraphe doré au bas de la nuit ou bien, averti par d’obscurs canaux, se taisait-il ?

Pierre Bergougnioux, Les Oiseaux

 

moments de vérité

un jeune merle s’essaie au chant : jour après jour, il répète inlassablement les mêmes bribes de mélodies dans la grisaille et le crachin du printemps londonien

 

pendant une semaine, son chant naissant scande les étapes d’une double chute : une arnaque financière et la rupture d’une relation de longue date; en quelques coups efficacement assénés, me voici plumée et mise à terre
d’un côté, une longue procédure administrative et judiciaire commence, tandis que, de l’autre, deux mondes divergent et dérivent rapidement en s’éloignant l’un de l’autre

 

 

désillusions ? rappels !

sur le plan matériel, le verdict est clair : un bref moment d’inattention suffit à déclencher une inexorable glissade dans l’entonnoir de la manipulation; il y a toujours des signes préalables mais ils ne sont pas écoutés

au plan énergétique, des ajustements précis ont lieu et la coïncidence des deux événements ne semble pas être fortuite
l’arnaque me laisse sans moyens financiers, je décide de porter plainte : en affirmant mon indignation je me redresse
cependant on ne peut pas m’avoir en dérobant mon argent car je reste intouchable, inaltérée
pour ce qui est de la coupure de la relation, un jeu de pouvoir fondé sur l’argent peut tout acheter ! colorait les échanges : je n’étais pas dupe de cette dérive, pourtant je ne me positionnais pas, j’étais inhibée

il aura donc fallu qu’un escroc fasse main basse sur mon argent sans accéder à mon énergie, afin que cesse la relation avec une personne qui me rémunérait pour se nourrir de mon énergie

couper court !
brusquement les deux relations cessent

 

 

le merle messager !

six mois plus tard, au Centre Paul Klee à Berne : dans l’ambiance sonore de l’exposition temporaire « Kosmos », le sifflement d’un merle se fait soudainement entendre …

 

en une fraction de seconde la palette des couleurs, la richesse des formes déployées dans les oeuvres exposées sont réduites en cendres, rideau ! tout est devenu gris, âcre, épais, figé, je suis happée dans une autre ligne de temps
un goût métallique dans la bouche, la voix mielleuse de l’arnaqueur susurrant à mon oreille, je reste plantée là, paralysée 

envahie par les relents du vertigineux tourbillon éprouvé durant une semaine fatidique, je laisse passer la tempête
puis je me penche à nouveau sur cette partie de moi-même qui signale sa vulnérabilité
il faudrait à la fois laisser faire, laisser sortir et soutenir, rassurer, apaiser, demander un appui extérieur et prendre soin par moi-même

après un grand nettoyage psychologique et énergétique, me revoilà sur pied, l’appeau ne fait plus appât, bref, l’affect est désamorcé

plus peur du merle !

 

 

chant du merle noir

 

 

envolé l’oiseau, blanchi le merle

un an plus tard, l’enquête policière n’a pas abouti, l’enquête privée non plus : le dossier de la plainte est définitivement clos

l’arc de cercle tendu depuis dix-huit mois se relâche progressivement, profonde détente
et là, au cinéma, apparaîtrait un arc-en-ciel …

mon avocate déplore que dans le monde où nous vivons, les escrocs arrivent à être meilleurs que le système judiciaire
c’est sans surprise !

les fonds sont donc perdus, évanouies les économies pour mes vieux jours !
je m’en doutais et en réalité je le savais depuis le début

à moins d’un fort impact matériel, suscitant une réaction et un engagement concret de ma part, la portée multidimensionnelle de l’expérience risquait de passer inaperçue
en effet, une victime passe le plus souvent sous silence l’escroquerie qu’elle a subie (par gêne, honte, impuissance, désespoir), ou elle la rationalise en réduisant le coup dur aux dommages matériels ou encore elle l’évacue en prenant refuge dans un autre plan de conscience : mais dans mon cas, la perte sèche était radicale, elle mettait en péril mon équilibre économique, il m’a fallu la regarder en face !

ai-je jamais espéré récupérer les fonds ?
pas vraiment ! sans pourtant tabler sur la perte dans l’espoir d’une bonne surprise
j’ai entamé une procédure parce qu’elle me paraissait justifiée plutôt que dans l’espoir que justice soit faite
c’était pour l’exemple, parce qu’une victime peut se tenir debout et s’opposer à l’escroquerie, si, du moins, elle n’est pas anéantie
tout cela comme une affirmation de ma personne, de ma vérité et de ma droiture

on peut le voir aussi comme un acte performatif : faire briller un point lumineux dans le marasme des entourloupes

 

 

recto-verso

dans cette histoire, d’un côté je me fais plumer et de l’autre j’affirme ma voix
et comme l’un ne va pas sans l’autre, ce n’est ni un bien, ni un mal, les deux situations étant les faces d’une même réalité

par le biais de ce « double face », il est plus aisé de débusquer les tendances inconscientes sur lesquels a pu jouer l’amorce dans l’escroquerie. Il s’agit d’un tour de passe-passe psychologique : un détail véridique est mis en avant par l’escroc, puis il bluffe hardiment, lance des flèches dans plusieurs directions dans l’intention de susciter une réaction. Un signe quelconque livre une croyance de la proie, il s’en saisit et emballe vivement son boniment autour de ce point : le mécanisme s’amorce et le reste s’ensuit

en examinant de plus près la stratégie de l’arnaque, d’autres questions se posent :
– pourquoi une personne est une proie désignée
– le genre de proie et le genre de prédateur
– les mobiles conscients et inconscients de la prédation
– les modalités d’échanges de la prédation
et, à les explorer, apparaissent non pas simplement les dessous mais d’autres dimensions de l’affaire … je ne les développerai pas ici …

 

 

abondance

restons dans une perspective élargie : qu’est-ce qui justifie de faire provision, de mettre de côté pour plus tard, au cas où
il peut sans doute être utile d’envisager les besoins futurs, mais anticiper la manière dont ceux-ci pourraient être satisfaits, ce serait comme tirer une ligne dans une direction à l’intérieur d’un espace, en le limitant à cette seule projection

un ami me demandait l’autre jour : « tu t’es remplumée depuis l’arnaque ? »
pour ce qui est de refaire des plumes : oui et non !
oui, j’en ai fait pousser un peu, je ne suis pas sur la paille
non, je n’ai pas de réserve pour les temps difficiles et ce n’est peut-être pas plus mal

quand faire face aux échéances courantes est devenu acrobatique, des personnes proches et moins proches m’ont proposé leur aide, j’en ai été très touchée
mais il y a plus :  leur élan a résonné en moi, des vagues amples, souples, consonantes, m’enveloppaient, me soutenaient et contrastaient fortement avec l’implacable spirale descendante de l’arnaque
en définitive, je n’ai pas eu à faire appel aux amis. Par orgueil ? non !
plutôt parce que les courants générés spontanément par leur générosité ont contribué à stabiliser mes mouvements financiers qui ont fini par s’équilibrer

au réveil d’un rêve, le lendemain matin, ces mots résonnaient en moi :  « la vie sur terre est abondante et pleine de ressources »
c’est tellement vrai !

sans un coussin pour plus tard et le souci de le préserver, je ne manque de rien
la monnaie d’échange, l’argent, va et vient, il circule
quand il s’agit de satisfaire un besoin, réaliser un désir, répondre à un appel … les moyens se présentent toujours, le plus souvent de manière inattendue

en cela, ma vie est devenue plus libre et plus joyeuse

 

Olivier Messiaen, Le merle noir

 

 

au moment de finir, je tiens ici à remercier vivement ce cher merle qui a été le fil rouge et un révélateur déterminant dans cette aventure !